« GAAL GI »
Décryptage par le Pr
Magueye KASSE
Exposition « GAAL GI »
Il est heureux que l’initiative le « Pinceau de l’Intégration » ait choisi le thème de « GAAL GI » qui signifie la pirogue en langue wolof. Ce faisant, cette initiative s’inscrit en droite ligne d’une des fonctions de l’art et prolonge une idée déjà matérialisée dans le 7ème art : L’artiste, en effet, nous invite toujours à une profonde réflexion sur notre humanité, partant de ses origines à notre présent et ouvrant des voies pour le futur. Le cinéma s’est emparé du thème pour aider à comprendre et à agir pour renverser des tendances au dévoiement.
Que serait notre humanité si elle ne se raccordait pas, à travers son évolution, à tout ce qui en fait sa richesse, la diversité de ses composantes, les humains, leurs vécus qui sont nécessairement liés par le phénomène de leur séculaire migration.
Depuis le début, du mésolithique jusqu’au néolithique et à travers les siècles, les hommes, qu’ils aient été bénis par des phénomènes naturels comme les mers, les océans et les lacs ou pas, se sont rencontrés pour achever le travail de cette nature, dont ils sont une composante essentielle, par un commerce né d’un besoin irrépressible de contacts.
Que de ces contacts entretenus d’abord entre soi, dans les aires civilisationnelles ayant généré des cultures originales, et ensuite avec les autres, les hommes ont toujours été capables de créer les conditions techniques de cette mobilité qui a permis ces contacts. Il faut se féliciter que chaque peuple ait choisi les voies à caractère spirituel, religieux, voire économique pour répondre à l’appel du large pour ses besoins propres nonobstant, au delà des mobiles, leur utilisation dans leur satisfaction en fonction des contextes et des lois qui guident ceux-ci.
Les rencontres occasionnées ont été souvent funestes pour l’Afrique ou l’Amérique singulièrement. En atteste le temps des conquistadores ou du commerce triangulaire. Ce dernier phénomène est aux antipodes sans aucun doute de l’idée de Mansa Bakary II, empereur du Mali, qui, le premier, 1300 et 1312, a découvert l’Amérique bien avant Christoph Colomb.
Prendre comme thème « GAAL GI » qu’on traduit par commodité et par un avatar qu’on traduirait par événement malheureux dans ses conséquences sémantiques par Pirogue, permet de revenir néanmoins à l’ensemble de ses présupposés contenus dans le triptyque, religion, spiritualité, économie définissant l’ensemble des besoins de toute société humaine.
La pirogue est une idée rendue concrète pour signifier en même temps une embarcation légère ou plus tard plus ample, plus profonde pour la destination de ses contenus , propre à beaucoup de civilisations.
Selon des spécialistes, le mot serait à rapprocher du mot maya Piragua passé en espagnol puis francisé.
Dans notre espace, on retrouve en l’empruntant ce mot devenu désormais partie de notre patrimoine linguistique.
Prendre ce terme pour illustrer toute une fonction revient donc à remonter à la genèse d’un concept positivement opérant au départ dans l’idée de mobilité, de partage d’expériences et de cultures mais qui a fini sous nos cieux de susciter peur, hantise, terreur et mort dans la désespérance. C’est le phénomène de la migration clandestine aux antipodes des rencontres souhaitées parce que mutuellement enrichissantes.
Que plus de 30 artistes plasticiens, venus de différents pays pour partager par l’art avec leurs homologues sénégalais des idées autour d’un concept que la réalité funeste d’aujourd’hui veut dévoyer de son sens premier, est à saluer.
Leurs œuvres vont éclairer ce que l’artiste veut faire, en particulier et au départ comme à la fin d’un processus esthétique digne d’éloge par la créativité diversement exprimée : nous prêter ses yeux pour voir et interpréter autrement le monde.
« GAAL GI » est un prétexte esthétique innovant dans une reprise autre d’une thématique que des profanes ont pourtant essayé de glorifier à leur manière par la décoration des pirogues pour les magnifier, leur donner des noms qui les rattachent à des croyances séculaires, les orner d’objets puisés dans une sorte de liturgie propre à une culture pour donner une âme. Les artistes prolongent l’idée en invitant à une autre introspection de l’objet de l’objet, c’est à dire sa signification pleine et entière qui les intègre pour un dépassement dialectique.
Ceci s’opère dans un processus esthétique qui allie une observation et un minutieux rendu d’idées porteuses.
Professeur Maguèye Kassé
Professeur Titulaire des Universités de Classe exceptionnelle
Commissaire